Le positionnement volontaire de l’AFTAB à promouvoir le tournage d’Art a souvent été perçu comme une vision élitiste d’un univers dans lequel tous les tourneurs ne se retrouvaient pas.
Il n’en est rien ! Explications :
Commençons par le début. Qu’appelle-t-on « L’ART » ?
Il serait très réducteur de limiter l’art à ce qu’on appelle aujourd’hui la « matrice moderniste » (ou Bijutsu) qui est une forme particulière de l’expression artistique, datant de moins de deux cents ans.
Les évolutions, de plus en plus conceptuelles, placent l’art comme lié au contexte. Ainsi un objet « ready-made » placé dans un hall d’exposition devient un objet d’art. Pour autant, Pierre Soulages (et bien d’autres) reconnaissent que l’art pariétal est une forme tout aussi aboutie de l’art que de scotcher une banane sur un mur.
Derrière cela, il y a plusieurs notions essentielles : l’intention artistique, l’intérêt esthétique, et l’autotélisme – c’est à dire l’absence d’utilité autre que celle d’être un objet d’art -. C’est évidemment sur ce dernier point que le débat pourrait se situer dans notre contexte.
À partir de quel moment est-ce que je fais de l’art ?
Si je reproduis à l’identique un objet, je n’y met pas d’intention artistique : je ne cherche qu’à appliquer un savoir-faire technique, quitte à m’en affranchir en faisant travailler une machine à ma place. Si mon objectif est de créer un objet purement utilitaire, ce n’est sans doute pas de l’art.
Oui mais attention, si je cherche à ce que mon objet utilitaire ait une certaine esthétique, ce que nous appelons généralement « le sens de la courbe », si j’y applique un motif, un trait, une couleur, alors je dépasse le simple caractère utilitaire et je cherche à en augmenter la valeur par un apport esthétique qui va susciter un intérêt.
Une simple gorge fouillée sur un pied tourné, un rebord sur une écuelle, et je suis déjà dans cette recherche volontaire d’ajout de valeur à un objet basique. De part cette distinction, on voit que l’AFTAB n’est pas l’association pour les tourneurs utilisant un tour automatique, ni pour les producteurs en grande série.
Bon, mais si tout le monde fait de l’art, pourquoi en parler ?
C’est justement l’intérêt de faire la promotion pour le tournage d’art, afin de ne pas reléguer le tournage contemporain dans l’industriel et le banal.
D’autant que la démarche est progressive : si je commence par ajouter un intérêt esthétique à ma pièce, il se pourrait bien que j’essaie par la même occasion de lui donner un sens, une « intention artistique », qui ferait qu’un observateur entrerait en relation, au travers de cet objet, à mon esprit : Pourquoi ceci ? Quel sens à cela ? Il-y-a-t il une signification ? C’est ce qu’on appelle l’herméneutique…
Il semblerait qu’il n’existe pas d’harmonie universelle, et pourtant des objets, des représentations ont traversé des millénaires et émeuvent des millions d’individus. Se demander pourquoi, et chercher humblement au travers de ses créations de susciter une émotion, qui pourrait être partagée avec un, dix, cent observateurs, voilà une démarche qui pousse les membres d’une association à se retrouver.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si au travers les rencontres des antennes, les expositions locales ou les manifestations de plus grande envergure on nous demande souvent d’animer une séance de critique de pièces…
D’accord, mais c’est quoi l’autotélisme déjà ?
C’est le fait de produire un objet, non plus pour son utilité, mais pour sa seule fonction d’objet d’art, c’est à dire, au sens où nous l’avons vu, pour qu’il suscite une émotion, crée une connexion et une attention de la personne qui va le regarder.
Je passe devant une collection, mon regard est attiré par un objet… Le fait de s’interroger sur ce qui a créé cette attirance nous positionne déjà comme acteur qui va analyser (et par cette action positionner l’objet comme pièce remarquable, artistique). Augmenter sa conscience c’est également augmenter ses capacités à produire de l’art.
Pour autant, si l’objet produit a la seule vocation d’être objet d’art, encore une fois, dans le contexte qui nous est propre, il se doit d’avoir un rapport avec le tournage sur bois. La teneur de ce rapport est une zone bien floue qui va nourrir encore de nombreux débats. Et c’est tant mieux, car rien n’est figé, et nous redéfinissons pratiques, outillages, méthodes tous les jours pour que le tournage sur bois contemporain évolue et soit mieux compris par le plus grand nombre.